10 réponses pour en finir avec les préjugés concernant la justice des Mineur.e.s !

9/ La menace de peines lourdes peut enrayer la délinquance juvénile.

FAUX. Par Nicolas Sallée, professeur de sociologie, Université de Montréal. Auteur de « Éduquer sous contrainte. Une sociologie de la justice des mineurs. » Paris, Éditions de l’EHESS, 2016.

L’idée commune selon laquelle un durcissement des peines permettrait de réduire la délinquance s’appuie entre autres sur une théorie criminologique dite « de la dissuasion ». Celle ci postule que l’on peut empêcher quelqu’un de commettre un délit ou un crime par la crainte de ses conséquences. Sur le fond, cette théorie sous tend une représentation du délinquant comme un acteur rationnel, capable de calculer les coûts et les bénéfices de ses actions avant de commettre un acte délictuel ou criminel. Alors secrétaire national du Parti socialiste chargé de la sécurité, Julien Dray appelait, lors des rencontres nationales sur la sécurité, tenues à Évry en octobre 2001 , à se « [référer], pour une fois, aux préceptes des économistes néo classiques : pour l’homo œconomicus rationnel, le prix de la possible punition doit excéder les bénéfices attendus du délit ». Gagnant du terrain à mesure que s’impose et se diffuse la conception néolibérale d’un individu gestionnaire et responsable de ses actes, cette représentation du délinquant est pourtant très éloignée des formes les plus concrètes de l’engagement (et du désengagement) des adolescents dans des carrières délinquantes.

Comme le concluait il y a maintenant plus de soixante ans la première vaste enquête sur le devenir des jeunes autrefois dits « anormaux », menée entre 1 947 et 1 950 par des psychiatres de l’enfance, les principaux facteurs de non engagement ou de désengagement de la délinquance sont à rechercher du côté des « évènements de la vie » : mariage, possibilité d’étude, travail, etc. Ces résultats, inédits à l’époque mais aujourd’hui corroborés par de nombreux travaux sociologiques consacrés aux déviances et à la délinquance juvénile, ont justifié la mise en place d’un modèle de justice qui devait être prioritairement fondé, non sur la punition ou la menace de la punition, mais sur le suivi des jeunes aussi proche que possible de leur milieu habituel de vie, de manière à les accompagner dans leurpassage vers la vie adulte. Les travaux menés en sociologie de la prison permettent d’enfoncer le clou : loin de dissuader, l’incarcération tend, au contraire, à consolider l’identité délinquante de jeunes en quête de repères, tout en faisant obstacle, par la stigmatisation qu’elle produit, aux opportunités de réinsertion.

Ainsi doit on comprendre l’une des principales ambitions de l’ordonnance du 2 février 1945, consistant à inscrire dans le droit la nécessité d’une réflexion sur les origines socio-économiques et psychosociales de la délinquance juvénile. Autant qu’individuelle, la responsabilité était pensée comme collective.

Dans un contexte de fragilisation croissante du marché du travail et de précarisation des conditions d’existence des classes populaires, cette ambition éducative devrait, plus que jamais, être soutenue. Depuis le milieu des années 1 990, elle ne cesse pourtant d’être battue en brèche, au nom d’une rhétorique punitive souvent plus fondée sur la promesse de gains électoraux que sur l’observation attentive des causes de la délinquance.