Des milliers de personnes sont enfermées dans des espaces clos aux frontières de la France. Adultes et enfants y sont triés avant d’être, pour la plupart, renvoyés dans leurs pays. Une pratique qui viole les droits fondamentaux, alerte un collectif d’intellectuels, d’associatifs et de personnalités du monde culturel.
Les autorités françaises enferment chaque année des milliers de personnes qui se présentent aux frontières pour entrer en France ou sur le territoire européen. Les lieux dans lesquels elles sont enfermées sont appelés zones d’attente (ZA). L’immense majorité n’en sort que pour être renvoyée dans son pays de provenance.
En zone d’attente, on applique un triptyque : trier, enfermer, expulser. Les personnes arrivent aux frontières. La police les intercepte à la sortie de l’avion, du bateau, du train, à pied ou en voiture. Si les conditions d’entrée ou de séjour ne sont pas réunies, on trie, on enferme, on renvoie. Si les personnes demandent l’asile, on trie, on enferme, on renvoie. Si la police estime que les personnes représentent « un risque migratoire », on trie, on enferme, on renvoie. Adultes et enfants. En famille ou seuls. Peu importe, ils sont enfermés.
Cette politique migratoire délétère a été façonnée au fil des ans par un discours politique modifiant peu à peu le vocabulaire relatif aux personnes étrangères. Son objectif : exciter les peurs et instiller dans l’opinion publique l’idée que les étrangers représenteraient un danger.
La méthode est simple et redoutable. D’une part, brouiller les réalités des migrations par un vocabulaire anxiogène (« submersion migratoire », « appel d’air », « grand remplacement »). D’autre part, construire l’illusion du contrôle en enfermant derrière des barbelés et sous l’œil de la police celles et ceux que l’on a désignés comme étant un danger en puissance ou en devenir.
Indésirables
La zone d’attente, c’est le confinement des indésirables à la frontière. Ce n’est pas encore la France, bien que la législation française s’y applique et qu’elle se situe sur le territoire national. C’est un obstacle supplémentaire dans le parcours migratoire. C’est un lieu où des personnes interceptées à la frontière sont enfermées le temps nécessaire à leur renvoi ou plus exceptionnellement à leur admission sur le territoire français.
C’est un espace clos de surveillance, de contrainte et de privation de liberté pour les empêcher de pénétrer sur le territoire. A leur arrivée en ZA, on leur confisque leur passeport et leur smartphone. Pour téléphoner à un avocat, à une association ou à des proches, il faut payer des cartes de téléphone.
Quatre murs, des grillages, des barbelés, des grilles anti-évasion et des caméras de surveillance, le bruit des avions qui décollent, des trains ou des bateaux qui repartent. Voilà à quoi ressemble une zone d’attente. L’attente, c’est la combinaison d’une triple incompréhension pour les personnes migrantes. L’incompréhension face à des lois, des procédures et une langue qu’elles ne connaissent généralement pas ou peu. L’incompréhension face aux droits qui ne leur sont pas ou insuffisamment expliqués. L’incompréhension face à la punition que représente l’enfermement par rapport au non-respect supposé des règles de franchissement des frontières et /ou de séjour en France. L’attente, c’est enfin l’angoisse d’être à tout moment renvoyé de force, parfois avec violence, vers un pays que l’on a quitté.
Etre enfermé en zone d’attente, c’est être confronté quasiment tous les jours aux situations suivantes : ne pas pouvoir se soigner, ne pas manger à sa faim, dormir dans des locaux insalubres ou aux conditions d’hygiène dégradées, voir la police refuser d’enregistrer sa demande d’asile, n’obtenir aucune information sur ses droits et sa situation précise, ne pas avoir accès à un interprète ou un avocat, être renvoyé sans voir un juge, souffrir de stress post-traumatique, surtout pour les enfants, faire une fausse couche à un stade avancé de grossesse sans assistance médicale. Etre enfermé en zone d’attente, c’est aussi parfois être stigmatisé, victime de propos racistes, sexistes et LGBTphobes, de pressions, d’intimidations et de violences. Etre enfermé à la frontière, notamment entre la France et l’Italie, c’est aussi, parfois, être victime de détention arbitraire. Enfin, être enfermé en zone d’attente, c’est parfois finir en prison car on a refusé d’être renvoyé dans un pays que l’on a fui.
Droits fondamentaux
Depuis 30 ans, l’Anafé apporte une assistance juridique à des personnes enfermées en ZA. Notre constat est sans appel : il est illusoire de penser qu’on peut enfermer des personnes en respectant leur dignité et leurs droits. Les priver de liberté aux frontières, c’est générer des souffrances et de la violence. Par leurs pratiques, les autorités françaises violent quotidiennement les droits fondamentaux au nom d’une obsession de l’enfermement. Les politiques migratoires actuelles sont inefficaces et mettent en danger les personnes exilées en les condamnant à emprunter des routes dangereuses et mortelles.
Nous appelons donc à résister aux discours et aux logiques sécuritaires. Résistons aux tentations d’un recul toujours plus grave des droits fondamentaux ! Résistons aux injonctions quotidiennes du « tout enfermement » !
Nous appelons à refuser le Pacte européen sur la migration et l’asile qui entend exporter le modèle de la zone d’attente française à toutes les frontières extérieures de l’Europe. Rompons avec les politiques européennes d’enfermement !
Se mobiliser contre l’enfermement administratif des personnes étrangères est devenu une nécessité pour garantir leur sécurité, leur santé physique et mentale, voire leur vie. C’est aussi une nécessité civique et politique. L’abolition de l’enfermement des étrangers est un prérequis indispensable à toute politique migratoire qui respecterait enfin les valeurs démocratiques et humanistes de la France. La liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas compatibles avec les logiques de mise à l’écart, d’invisibilisation, de stigmatisation et d’enfermement d’enfants et d’adultes étrangers.
Qu’il soit mis fin à cette honte !
Retrouver la tribune sur le site du journal Libération……https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/refugies-fermons-les-zones-dattente-20220117_PZJRXT6S55GHLIBCIFW2XWLWUU/
Premiers signataires :
Personnalités : Alexandre Moreau, président de l’Anafé – Carina Aaltonen, présidente d’Emmaüs Europe – Michel Agier, anthropologue – directeur d’études à l’EHESS – Arié Alimi, avocat au Barreau de paris – membre du bureau national de la LDH – Patricia Allio, metteuse en scène – réalisatice – Anne-Laure Amilhat Szary, géographe, Université Grenoble Alpes – Manon Aubry, députée européenne – Clémentine Autain, députée LFI – Bertrand Badie, professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris – Etienne Balibar, philosophe – professeur honoraire – Yves Ballard, bénévole Cimade IDF – membre du Conseil régional – Marie Bassi, maîtresse de conférences en science politique à l’Université Nice Côte d’Azur (ERMES) – Fayçal Ben Abdallah, présidente de la Fédération des Tunisiens Citoyens des deux Rives (FTCR) – Fatima Benomar, militante féministe membre de #NousToutes – Marie-Jo Bernardot, co-fondatrice du collectif Désinfox-Migrations – autrice – vice-présidente de l’association GNIAC – Stéphanie Besson, Tous Migrants – Amélie Blanchot, membre de l’Anafé – Alima Boumediene Thiery, avocate – William Bourdon, avocat – Vincent Brengarth, avocat – Mathilde Buffière, membre de l’Anafé – Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire – Evelyne Caduc, membre de l’association des ami.e.s de la Roya – Claude Calame, directeur d’études, EHESS, Paris – conseil scientifique et commission migrations d’ATTAC – section EHESS de la LDH – Laurent Cantet, cinéaste – Damien Carême, député européen – Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade – Cécile Casagrande – Barbara Cassin, philosophe – Monique Chemillier-Gendreau, professeur émérite de droit public et de sciences politiques à l’université Paris-Diderot – Mouhieddine Cherbib, président du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) – Chantal Chesnel, membre de RESF – Olivier Clochard, géographe Migrinter / Migreurop – Maxime Combes, économiste – Marie Cosnay, autrice – Annick Coupé, porte-parole d’ATTAC – Pierre Cours-Salies, sociologue – professeur émérite – membre d’Ensemble ! – Muriel Cravatte, cinéaste – Michel Croc, membre de l’Anafé – Cybèle David, secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires – Jean-Michel Delarbre, membre du Comité central de la LDH – co-fondateur du RESF – Catherine Delanoë Daoud, avocate – Rokhaya Diallo, écrivaine – réalisatrice – Bernard Dreano, président du CEDETIM – Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la LDH – Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France – Morgane Dujmovic, géographe à Aix-Marseille Université – membre de Migreurop – Philippe Dupourqué, président du Groupe accueil et solidarité – Didier Eribon, philosophe – Elsa Faucillon, députée PCF – Geni Favre, membre de la LDH – Didier Fassin, professeur de sciences sociales, Institut d’étude avancée de Princeton – Eric Fassin, professeur de sociologie, Université Paris 8, Institut Universitaire de France – Georges Fournier, président de la Maison de l’Hospitalité Martigues – Jeanine Fradin – Odette Furois, présidente de Education.World 86 – Kaltoum Gachi, coprésidente du MRAP – Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France – Jacques Gaillot, évêque de Partenia – Anne Gaudron, militante Ligue des droits de l’Homme – Camille Gendrot, juriste – membre de l’Anafé – Dominique Genevoix, présidente RESF 61 – Bérénice Geoffray, présidente de Thot – Linda Germain, membre de la Maison de l’Hospitalité de Martigues – Odile Ghermani, Ligue des Droits de l’Homme – membre du conseil d’administration de l’Anafé – Guillaume Gontard, sénateur et président du groupe Ecologistes au Sénat – Augustin Grosdoy, président honoraire du MRAP – Félix Guyon, délégué général de Thot – Odile Hélier, anthropologue – Cédric Herrou – Jean-Pierre Huveteau, membre de l’Anafé – Louis Imbert, doctorant à l’Ecole de droit de Sciences Po – membre du conseil d’administration de l’Anafé – Pierre Jacquemain, journaliste – Agnès Jaoui, cinéaste – comédienne – Morgan Jasienski, coresponsable de la commission immigration et cofondateur de la commission prévention, sécurité et tranquillité publique d’EELV – Marion Jobert, avocate et présidente de Kâli – Robert Joumard, membre d’ATTAC-démocratie – François Journet, psychiatre – Abderrazak Kitar, président de l’association Générations Solidaires – Geoffroy de Lagasnerie, philosophe – Myriam Laïdouni-Denis, élue régionale Auvergne Rhône Alpes – co-fondatrice de ANVITA – Gaetane Lamarche Vadel, La Cimade Batignolles – Denis Laurent, membre de Tous Migrants et de RESF94 – Harmonie Lecerf, adjointe au maire en charge de l’accès aux droits et des solidarités de Bordeaux – Michèle Leclerc-Olive, ARTeSS-IRIS-CNRS-EHESS – Loïc Le Dall, Président de Défends ta citoyenneté Emmaüs Roya – Sophie Leleu – Cécile Louchon, membre de la Maison de l’Hospitalité Martigues – Edouard Louis, écrivain – Chowra Makaremi, anthropologue – chercheuse au CNRS – Brigitte Maraine, militante et bénévole active pour l’accueil digne des exilé-e-s – Philippe Marlière, professeur d’université – Jean-Jacques Masot-Urpi, éditeur – Gustave Massiah, membre du Cedetim – membre du Conseil international du Forum Social Mondial- Nina Meurisse, actrice – JB Meybeck, illustrateur, graphiste, auteur de BD et de livres jeunesse – Mireille Michard, militante – Gérard Mordillat, cinéaste et écrivain – Héloïse Nio, cofondatrice de Thot – Danièle Obono, députée LFI – Jeanne Parreau, enseignante retraitée – Nathalie Péré-Marzano, présidente de l’Organisation pour une Citoyenneté Universelle – Evelyne Perrin, STOP PRÉCARITÉ – Pablo Pillaud-Vivien, responsable éditorial de Regards – Swanie Potot, sociologue – directrice de recherche au CNRS – Unité de recherche Migrations et société (URMIS) – Jean-François Quantin, coprésident du MRAP – Carine Rolland, présidente de Médecins du Monde France – Barbara Romagnan, ancienne députée – Joël Roman, philosophe – essayiste – Anne Rochette, artiste – enseignante – Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, professeure, INALCO – directrice de recherche – psychologue – Malik Salemkour, président de la Ligue des Droits de l’Homme – Sania, artiste peintre – François Sauterey, coprésident du MRAP – Xavier Sauvignet, avocat – Camille Schmoll, Umr Géographie-cités – EHESS, Institut Convergences Migrations – Fatna Seghrouchni, co-secrétaire de SUD éducation – Pinar Selek, écrivaine – enseignante-chercheuse à l’Université Côte d’Azur – Damien Simonneau, membre du Conseil d’administration de l’Anafé – Jules Siran, co-secrétaire de SUD éducation – Serge Slama, professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes – Anouck Soubeyran, membre du conseil régional Île-de-France de La Cimade – Antoine Sueur, président d’Emmaüs France – Christine Taillardat – Arlette Tardy, présidente de l’ASTI ROMANS – Jacques Testart, directeur de recherches honoraire de l’Inserm – Dominique Thibaud, membre de la LDH – Louis-Georges Tin, président d’honneur du CRAN – Emilien Urbach, journaliste – Nelly Vallance, présidente du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne – Arnaud Veïsse, directeur général du Comede – Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, ancienne députée européenne – Claire Vigué, retraitée – Jacques Vigué, retraité- Martine Vinot – Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS
Organisations nationales
Anafé (association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) – ACAT France – ADDE – ADMIE – Ah Bienvenue Clandestin ! – ANVITA – ARDHIS – ASDHOM (Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc) – ASGI – ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) – ATTAC France – CGT – CISPM – Collectif national droits de l’homme Romeurope – Comede – Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) – Coordination nationale Pas sans Nous – Copaf (Collectif pour l’avenir des foyers) – CRID – Centre de Recherche et d’Information pour le Développement – EGM (États généraux des migrations) – Emmaüs Europe – Emmaüs France – Famille au grand cœur – FASTI – Fédération des Tunisiens Citoyens des deux Rives (FTCR) – FSU – GAS (Groupe accueil solidarité) – Générations Solidaires – GISTI – IDD (Immigration Développement Démocratie) – Kâli – L’Auberge des Migrants – La Cimade – Le Paria – Les Ami.e.s des Femmes de la Libération – Les Amis de la Terre France – Ligue des droits de l’homme – Ligue de l’enseignement – Médecins du Monde France – Migreurop – Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) – MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) – MRJP (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne) – Observatoire citoyen du CRA de Oissel – OEE (Observatoire de l’Enfermement des Etrangers) – Paris d’exil – Recidev – RESF (Réseau éducation Sans Frontières) – RITIMO – Solidarité Migrants Wilson – Sud Education – Survie – Syndicat de la magistrature – Syndicat des Avocats de France – Syndicat National des Personnels de l’Educatif et du Social à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (SNPES-PJJ/FSU) – Thanks for Nothing – Thot – Tous Migrants – UEE-Union des étudiants exilés – UJFP (Union juive française pour la paix) – Union syndicale Solidaires – Utopia 56 – WATIZAT