“J’ai jamais vu ça ! J’arrive de Paris, là-bas on nous donnait tout de suite une chambre d’hôtel.” Yanis ne s’attendait pas à cet accueil à la sauce marseillaise. Âgé de 15 ans, le jeune homme au visage encore poupin est arrivé à Marseille il y a deux semaines, “avec un copain, comme ça”. Devant l’entrée du gymnase La Martine (15e), où il est actuellement hébergé par la mairie avec une vingtaine d’autres jeunes isolés, il titube, les yeux mi-clos. Le jeune homme, originaire de Béjaïa, en Algérie, vient de faire un court séjour à l’hôpital. “Une overdose, j’ai mangé trop de médicaments”, lâche-t-il, franchement, assis sur une marche. Il y a neuf mois, Yanis a atterri à Paris, puis, à Marseille, donc.

Rapidement, il s’est retrouvé dans un commissariat, où on l’a dirigé vers “Gabrielle”, une militante associative. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé devant l’hôtel de Ville, mardi 2 mars, pour réclamer avec quelques autres jeunes et des associations ses droits. Selon la loi, Yanis, comme tous les autres mineurs isolés sont censés être pris en charge et hébergés, dès lors qu’ils se font connaître des autorités, peu importe leur nationalité. “Mais se faire trimballer comme ça, de gymnase en gymnase, j’ai jamais vu”. Si le jeune garçon au français hésitant et à la gueule d’ange confond encore le bâtiment de l’hôtel de Ville avec celui du tribunal, il sait encore moins que c’est le département qui est censé gérer sa prise en charge.

CARENCE” DU DÉPARTEMENT

Un détail pour lui, que les associations qui l’entourent ont bien en tête. La semaine dernière, plusieurs d’entre elles ont engagé une action en justice d’ampleur. Déposée devant le tribunal administratif de Marseille par les associations Soutien 59 Saint-Just, la Cimade, Médecins Sans Frontières et Ramina, la requête avait pour but de contraindre le département à “mettre à l’abri les mineurs non accompagnés identifiés tant que leur minorité n’a pas été écartée”. La décision, rendue ce lundi, leur donne en partie raison. Dans son ordonnance, le juge enjoint le département à “dresser contradictoirement avec les associations une liste identifiant les jeunes reconnus mineurs”. Puis de prendre en charge ces mineurs non accompagnés disposant “soit d’une ordonnance de placement provisoire soit d’un jugement d’assistance éducative du juge des enfants.” Il s’agit donc pour le département d’ouvrir le capot de sa gestion des mineurs isolés étrangers, et de présenter la liste d’attente actuelle pour leur mise à l’abri.

“C’est une victoire, le juge insiste sur la défaillance du département. Il va devoir établir une liste contradictoire avec nous, nous continuons le combat”, commente Isabelle Audureau, de Soutien 59 Saint-Just. Dans son jugement, le tribunal évoque le fait que “le maintien sans abri de jeunes adolescents caractérise une carence dans l’accomplissement de son obligation d’hébergement d’urgence”. Une énième condamnation pour la collectivité dans ce domaine.

Sauf que la justice ne va pas aussi loin que le voudraient les associations, et que ne le prévoit la loi. L’ordonnance du juge ne concerne en effet que les jeunes déjà “reconnus mineurs” ou qui disposent d’une décision de justice. Et donc rien qui ne concerne ceux dans l’attente d’évaluation de leur situation et de leur âge. Des évaluations qui peuvent durer dans le temps, 71 jours en moyenne selon un récent rapport de la chambre régionale des comptes.

LA RÉPONSE ACERBE DE MARTINE VASSAL

“Quand on connait la situation, c’est triste d’en passer par là mais ça reste une victoire. Maintenant la question va se poser pour ceux qui sont en attente d’une mise à l’abri et qui n’ont pas d’ordonnance du juge”, détaille Constance Rudloff, avocate des associations. De son côté, le département a réagi de façon acerbe. “Je veillerai à ce que Marseille et la Provence, qui ont toujours été des terres d’accueil, ne deviennent pas une terre d’abus”, prévient ainsi Martine Vassal, présidente du département, dans un communiqué.

Celle-ci dit “prendre acte de la décision du tribunal” et la lit simplement comme une injonction à “tout d’abord prendre en charge 23 des 38 migrants que nous imposent les associatifs soutenus par la mairie de Marseille”. Elle poursuit : “Le tribunal reconnait ainsi que, comme nous l’avancions, 13 d’entre eux sont majeurs et ne bénéficient pas du statut de mineur isolé.” Une lecture erronée du jugement : si le tribunal lui ordonne de prendre en charge les jeunes déjà reconnus mineurs, il n’estime pas pour autant que les autre sont majeurs.

“Un amalgame”, confirme Constance Rudloff. Si l’action devant la mairie et celle en justice ont été lancées de manière concomitante, les associations soulignent que leur action va au-delà des jeunes du gymnase. Elles évaluent à environ 160 les mineurs isolés devant être pris en charge par le département.

7 HOSPITALISATIONS

Martine Vassal, elle, ne fait pas de quartiers : “les associatifs ont menti sur l’âge de ces individus dont la majorité était établie, et au-delà, ils leur ont fait miroiter le fait que cette imposture leur ouvrirait un droit à être pris en charge par la collectivité. Ce public fragilisé est l’instrument de certaines associations ou certains élus”, conclut elle. Les associations réfléchissent à une éventuelle plainte pour diffamation devant ce communiqué à forte tonalité politique.

Qui qu’il en soit, les deux parties vont devoir trouver un terrain d’entente pour constituer cette liste, d’ici à quinze jours, comme le réclame la justice. Une bataille des chiffres a déjà débuté. D’ici à là, la mairie entend laisser un gymnase accessible aux jeunes isolés. Ce mardi, ils étaient selon nos informations une vingtaine à La Martine, pris en charge par le Samu social qui leur distribue produits d’hygiène et repas. En soirée, ils étaient de retour au gymnase Vallier (4e), le premier lieu d’hébergement que leur avait ouvert la mairie.

“Ce sont des gosses qui ne vont pas bien, ils ont parfois des comportements à risque. Là ils sont rassemblés, ils sont un peu cadrés, on le prend en pleine figure. Sept d’entre eux ont déjà été hospitalisés pour des raisons différentes : entorse aux deux chevilles, calculs rénaux, prise de médicaments…”, énumère Isabelle Audureau, du collectif 59 Saint-Just. En attendant que le département prenne ses responsabilités, Yanis et ses copains jouent au foot, “descendent sur le port”, raconte-t-il, en regardant un copain partir en ambulance. “Encore les médicaments, sûrement.”