Voilà plus d’un mois que le confinement a commencé. Cloîtrés chez eux, beaucoup d’enfants se languissent de retrouver leurs camarades de jeux ou profitent au mieux de ces vacances anticipées, et de ce temps passé en famille. Mais il en est qu’on oublie souvent ; ceux qu’un quotidien mouvementé, un environnement violent ou instable, des accidents de parcours… ont poussé en dehors des sentiers habituels.
Les aider à réintégrer un parcours de vie plus enviable, c’est le rôle des professionnels de la Protection de l’enfance et de la Protection judiciaire de la jeunesse ; ils assurent leur mission au quotidien au plus près des jeunes suivis ou placés. Aujourd’hui, cette tâche est devenue plus compliquée : le terrain doit être limité au strict minimum, les administrations tournent au ralenti, et les questions sur l’avenir proche se multiplient.
« Quand on va rouvrir les portes, on risque de découvrir des choses qu’on a vraiment pas envie de voir »
Première difficulté pour les professionnels : la rupture brutale du contact avec leur public. « On essaye de prendre attache avec les familles par téléphone, mais ce n’est pas toujours simple de maintenir le contact », confirme une éducatrice spécialisée opérant en milieu ouvert. Des difficultés accrues dans les territoires ruraux, où la communication est loin d’être évidente. « On est sensés intervenir sur place en cas d’urgence, mais il est compliqué de juger si une situation est urgente ou non simplement par téléphone. De la même manière, les audiences au tribunal sont suspendues sauf pour les urgences : comment peut-on définir l’urgence si on ne peut pas vérifier sur place ce que nous disent les parents ou les enfants au téléphone ? Si toutes les mesures éducatives ont été prorogées jusqu’au 24 juillet, l’inquiétude principale se porte sur celles qui n’ont pas pu être appliquées avant le confinement : l’éducatrice évoque 70 enfants en attente de placement avant la crise, faute de places en foyer. « Le tribunal, lui aussi, est saturé : on nous demandait de sélectionner les familles pour les audiences ! C’est déjà pour dénoncer ces problèmes que le collectif « Pas qu’un coût » s’est formé ces derniers mois ; après le confinement, ça risque d’être encore pire. Quand on va rouvrir les portes, on risque de découvrir des choses qu’on a vraiment pas envie de voir », prévient l’éducatrice.
Ces problèmes de suivi à distance touchent également des jeunes placés renvoyés exceptionnellement chez des « personnes ressource » ou dans des foyers jeunes travailleurs. « Ce sont surtout les jeunes en FJT qu’on a du mal à joindre », confirme un éducateur en établissement pour adolescents. Ceux qui sont restés à l’internat, eux, s’en sortent bien. « On a l’avantage de disposer d’un jardin où on peut faire des activités en extérieur, et de ne pas avoir de problème de sureffectif comme ça peut être le cas ailleurs », raconte-t-il. Malgré tout, les consignes sanitaires et le matériel se sont fait attendre. « On a mis du temps à avoir des protocoles, mais maintenant, les choses sont en place. On prend la température des adolescents deux fois par jour. En cas de symptôme, on contact un médecin référent et on isole le jeune pendant 14 jours dans sa chambre. » Des consignes qui n’ont pas eu à être appliquées pour le moment, mais qui ont déjà le mérite de décourager les fugues. « En dehors de ça, on a l’impression d’être peu suivis par notre hiérarchie. On met les bouchées doubles sur les animations, mais sans matériel supplémentaire. Il y a des dysfonctionnements que nous avons souligné, qu’il faudra mettre sur la table après le confinement. » Déjà difficile en temps normal, le soutien scolaire est devenu « quasi-impossible » auprès des adolescents maintenant encore plus éloignés de l’école. « Malgré tout, les choses se passent bien grâce à la solidarité des jeunes, que ce soit entre eux ou avec les personnels. Il n’y a pas eu de violence entre eux, ils s’intéressent à notre travail et aident volontiers la maîtresse de maison ; les choses seraient bien pire sans ce climat et les efforts qu’ils font. »
« le port du masque semble créer beaucoup d’angoisse chez les bébés, qui ne peuvent plus lire les expressions ; il a fallu trouver des visières transparentes qui devraient arriver bientôt »
Les choses sont un peu plus complexes au Centre départemental de l’enfance et de la famille, où les problèmes de sureffectifs sont régulièrement dénoncés par les salariés. « On s’occupe d’enfants qu’il est impossible de renvoyer dans leurs familles, alors on continue le travail avec un risque accru de contamination » raconte le représentant du personnel au CHSCT. Les quatre services d’internat sont donc maintenus ouverts, tandis qu’un maximum de tâches est assuré en télé-travail. Quant aux gestes barrières, « ils sont proprement impossibles à respecter ». Si le gel hydroalcoolique est arrivé rapidement, il a fallu mobiliser une partie du personnel pour la confection de masques en tissu, et compter sur les dons de particuliers. « Les fournisseurs ne nous considèrent pas comme un établissement prioritaire, et nous n’avons quasiment rien eu de la part du département et de l’ARS », déplore le syndicaliste. « Pourtant, le moindre cas peut transformer tout le site en cluster ». Pour éviter cela, un sas d’accueil a été mis en place pour les nouvelles admissions d’enfants de moins de 7 ans, et un temps d’observation sanitaire est prévu pour les plus grands. Mais les inquiétudes demeurent. « Sans tests, il est impossible de savoir si on est contaminé et qu’on est en train d’amener le virus dans l’établissement ou non. Il faut aussi s’adapter à ce qu’on observe : le port du masque semble créer beaucoup d’angoisse chez les bébés, qui ne peuvent plus lire les expressions ; il a fallu trouver des visières transparentes qui devraient arriver bientôt. Mais le plus inquiétant, c’est le déconfinement : que va-t-il se passer quand les enfants vont retourner à l’école ? Les choses ont été bien gérées jusque là, mais il ne faut pas baisser la garde. Sans parler du sentiment d’abandon : nous n’avons aucune nouvelle du président du conseil départemental, qui semble nous avoir oubliés et laissés à notre sort. » D’autres collectivités ont apporté leur soutien en détachant du personnel, notamment pour aider à l’accompagnement scolaire. « En dehors de ça, le contact avec l’extérieur est rompu : les rares audiences au tribunal se passent sans les parents, le travail avec l’ASE a cessé… On a l’impression de continuer normalement, mais avec seulement le vide autour de nous. »
Proche des problématiques de la protection de l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) voit également son fonctionnement largement modifié. L’établissement public éducatif (EPE) de Clermont-Ferrand a renvoyé chez eux la majorité de ses résidents, désormais suivis par téléphone. « Mais ça ne vaut pas un entretien face à face, et on commence à arriver au bout de l’exercice » confie une représentante syndicale du SNPES-PJJ, éducatrice en milieu ouvert. « Pour un certain nombre, le retour en famille est une bonne chose. Mais pour les plus fragiles, le confinement est une vraie épreuve : ceux qui sont dans des hôtels faute d’autre solution sont d’autant plus isolés. » Se pose également la question des bilans et des rapports à destination du tribunal, qui doivent parfois être rédigés avec ce suivi téléphonique pour seul support. Là aussi, le déconfinement inquiète, le fonctionnement de ces hébergements collectifs ne permettant pas la mise en place des gestes barrières. La surcharge probable des tribunaux est également redoutée. Mais d’autres craintes se font sentir, concernant les droits des salariés. « La direction s’est montrée plutôt soutenante avec les agents. Mais le ministère, c’est autre chose : on nous impose de prendre des congés et des RTT, y compris pour des collègues qui étaient en autorisation d’absence et ont fait du télétravail. Il va falloir demander la révision de leur situation au cas par cas. Il y a aussi la crainte de la généralisation du télétravail après la crise. » Pas de trêve non plus dans l’application de la réforme de la justice votée l’année dernière, que la syndicaliste dénonce comme une réduction drastique de l’accompagnement éducatif, et dont la plupart des mesures ont commencé à prendre effet durant le confinement. Mais il faudra sans doute attendre septembre avant de revoir les syndicats et les collectifs se remettre en branle sur les sujets de société. « Pour le moment, tout le monde est concentré sur une seule question : comment on tient une relation éducative à distance ? »
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