Le savez-vous ? Depuis une note du 20 mai 2015, les mesures éducatives en matière civile sont de nouveau comptabilisées dans l’activité des services de la PJJ.
Pour rappel, initialement, le système de la justice des enfants en France avait pour spécificité d’avoir une approche globale des mineurs et jeunes majeurs par l’instauration d’une double compétence civile et pénale. Ainsi à la PJJ, les mesures pouvaient être ordonnées dans le cadre de l’Ordonnance de 45 (mesures pénales) mais également dans celui des articles 375 et suivants du Code Civil (mesures d’investigations éducatives civiles ou pénales et mesures d’AEMO) et le Décret du 18 février 1975 (mesures de Protection Jeune Majeur). La mixité du public pris en charge permettait d’éviter la stigmatisation de certains et de reconnaître la place essentielle de l’histoire singulière de chacun. Le fait de passer d’un cadre à un autre pour un même jeune évitait la répétition des ruptures et permettait un accompagnement dans la durée.
Dès 2002, en instrumentalisant à outrance la délinquance juvénile à des fins populistes et électoralistes, Sarkozy opère une distinction manichéenne entre enfants en danger et jeunes dangereux qui gagne progressivement l’opinion publique. La loi sur la protection de l’enfance et celle dite de la prévention de la délinquance, votées simultanément en mars 2007, s’inscrivent dans cette logique de clivage artificiel.
Ainsi, à partir de cette distinction et sur une double justification d’affichage des politiques répressives à l’égard des jeunes délinquants et de réduction des moyens dans le cadre de la RGPP, l’ancienne Direction de la PJJ impose un recentrage au pénal, sans pour autant abroger les textes qui fondent l’intervention au civil. C’est donc à l’origine un abus de pouvoir de sa part : dans une logique budgétaire, elle contraint par le chantage de restriction de moyens, les magistrats et les équipes éducatives à se censurer au dépend des missions éducatives qui leur incombent et de l’intérêt des adolescents. Les conseils généraux sont alors censés reprendre à leur compte toutes les mesures d’assistance éducative, essentiellement dans un cadre administratif et sans compensation financière, ce qui ne peut que créer des inégalités de traitement sur le territoire national.
A la PJJ, même si des mesures civiles continuent d’être ordonnées à la marge, un certain nombre de services dont l’activité pouvait reposer principalement sur ces mesures ferment ou connaissent des restrictions de budgets et de personnels draconiennes. Les équipes éducatives et les magistrats adoptent des stratégies pour maintenir les accompagnements éducatifs en ayant recours à des mesures pénales de plus longue durée ou par empilement (LSP, LS, 16 bis…), en lieu et place des mesures civiles qui auraient pu prévaloir. Le parcours du jeune se pénalise, avec l’inscription au casier judiciaire de ces mesures et ses conséquences devant les juridictions majeures.
Malgré tout, certains jeunes sont laissés sur le côté, provocant la culpabilité des équipes et la perte de sens des missions. En effet, parallèlement, suivant les départements, l’ASE ne pouvant pas forcément répondre à toutes les sollicitations de relais, met en place des critères de sélection souvent arbitraires, telle l’absence de casier judiciaire ou le mérite du jeune, qui ne correspondent pas forcément aux jeunes « PJJ ».
Est-on aujourd’hui capable d’évaluer le coût réel de cette politique pour la société ?
Par sa note du 20 mai 2015, qui vient décliner les objectifs définis dans sa note d’orientation du 30 septembre 2014, Mme Sultan, qui s’était opposée en tant que juge des enfants à la disparition du civil, entend en réintroduire le principe. Cependant, malgré la volonté affichée, cette note s’avère extrêmement restrictive dans ses critères et maintient en cela une limitation abusive. En effet, il est précisé que cette réintroduction doit se faire « à la marge », « de manière ciblée ». Pour effectuer une demande de prise en charge au civil, il faut être en capacité de démontrer que la recherche de relais dans le droit commun a été anticipée et que toutes les solutions sont restées vaines.
La mesure ne devra être prononcée que sur « le laps de temps strictement nécessaire à la réalisation des objectifs prédéfinis ». La demande se fait sous contrôle des cadres du service sous le pilotage des DIR et « à leur suite », des DT.
Difficile donc pour la nouvelle administration d’assumer totalement ! De fait, on a recours aux quotas, aux contrôles et aux rapports hiérarchiques.
En quoi un DT serait-il plus légitime qu’un magistrat et qu’une équipe éducative pluridisciplinaire pour évaluer l’intérêt du mineur ? Sur quels critères autre que la logique budgétaire pourrait-il prendre sa décision ? Car c’est bien cela qui continue de prédominer : la logique budgétaire ? Pourtant, rien n’est dit sur ce point, tout est sous-entendu, mais tellement évident !
Le contrôle hiérarchique des demandes émanant des équipes tend à infantiliser ces dernières au lieu de manifester de la reconnaissance et de la confiance en leur professionnalisme. Il jette une suspicion, un discrédit sur leur capacité à prendre de la distance et à formuler des propositions constructives dans l’intérêt des jeunes. C’est une forme de censure plus insidieuse que la précédente. Un travailleur social qui préconise la poursuite d’un accompagnement pour un adolescent dans un cadre civil et qui obtient l’aval de son équipe, ne doit plus seulement argumenter sa position auprès du magistrat mais doit être autorisé par son DS à transmettre cette proposition en sachant que ce dernier doit tenir des objectifs chiffrés qui lui permette d’être éventuellement gratifié, DS lui-même soumis au contrôle du DT…
Dans une logique de maintien de recentrage au pénal, que craint-on ? Que les équipes s’emballent et multiplient les demandes pour réintroduire idéologiquement le civil ? Que les juges privilégient la spécificité et les savoir-faire des professionnels de la PJJ auprès des adolescents pour ordonner des prises en charge au civil à tout va ?
Enfin, il y a encore une notion sur laquelle il parait important de revenir : c’est celle de continuité des parcours éducatifs distincte de la continuité de la prise en charge d’un jeune par un même service. Ainsi, la poursuite de la mesure éducative est uniquement envisagée dans un laps de temps relativement court dans l’objectif unique de trouver un relais effectif. Si l’objectif de tout travailleur social est bien de permettre à un adolescent d’aller vers le droit commun, d’être le moins stigmatisé possible par un parcours PJJ trop long, de travailler à son autonomie et son émancipation, les fondements de sa mission reposent sur le temps et le rapport de confiance qu’il tisse avec ce dernier et sa famille. Si parfois, le relais est profitable et souhaitable, il arrive que dans d’autres situations, même si ce relais existe, il risque de fragiliser le parcours éducatif du jeune et créer un sentiment d’abandon. Ce phénomène existe déjà dans une moindre mesure quand l’adolescent change d’éducateur au sein d’un même service (en cas de mutation de l’éducateur référent, par exemple). Cependant, le service reste dépositaire de l’histoire, de la problématique et de l’évolution du jeune et de sa famille et garantit la sérénité de la poursuite du suivi. Le changement de service n’est pas toujours bénéfique et là encore, il semble que l’équipe soit la plus légitime à émettre ses hypothèses de travail et le magistrat à décider ! Aucune restriction budgétaire ne devrait conditionner le devenir d’un enfant. C’est son intérêt qui doit prédominer. Laissons chacun à sa place ! Les équipes ont-elles aussi droit à l’autonomie et l’émancipation pour mieux l’appréhender et la transmettre !
Lors du dernier CTC en date du 15 et 16 décembre 2015, Madame Sultan s’étonnait du peu de mesures civiles ordonnées depuis la parution de la note du 20 mai 2015, arguant qu’aucune restriction budgétaire ou répartition forfaitaire n’avaient été actée auprès des DIR. Nous lui avons indiqué que cette note semblait peu connue des équipes, voire même des cadres, que les équipes avaient pris l’habitude de s’autocensurer et que cette note était trop contraignante pour permettre un véritable retour du civil.
Au-delà de cette note, il est essentiel de rappeler que les articles 375 et suivants du Code Civil et le Décret du 18 février 1975 n’ont jamais été abrogés et continuent de s’appliquer. A ce titre, il appartient normalement à une équipe pluridisciplinaire d’évaluer en fonction de la problématique du jeune l’opportunité ou non de la poursuite d’un accompagnement éducatif et il appartient surtout au magistrat d’en décider. Nous invitons donc équipes éducatives et magistrats à réaffirmer la primauté de l’éducatif et de l’intérêt de l’enfant et à dénoncer toutes décisions arbitraires émanant des cadres qui interféreraient dans ce processus.