Le modèle des centres éducatifs fermés mis en cause

La CNCDH dénonce le projet éducatif cassé des CEF devenus « antichambres de la prison ». Le gouvernement prépare un assouplissement de ce régime.

LE MONDE | 28.03.2018 | Par Jean-Baptiste Jacquin

Les centres éducatifs fermés critiqués

L’Etat veut assouplir le fonctionnement de ces établissements créés en 2002

Certaines promesses électorales peuvent devenir encombrantes pour les ministres qui ont à les mettre en œuvre. Emmanuel Macron avait promis lors de la campagne présidentielle de 2017 de doubler, jusqu’« à une centaine », le nombre de centres éducatifs fermés (CEF). Ce symbole de la fermeté judiciaire à l’égard de la délinquance juvénile, créé en 2002 dans la foulée de la réélection de Jacques Chirac, semblait bon à prendre.

Nicole Belloubet, ministre de la justice, qui prépare actuellement une grande loi de programmation de la justice, prévoit de ne créer que vingt CEF, contre la cinquantaine envisagée, pour porter leur nombre à soixante-treize. Surtout, sans véritablement le dire, la chancellerie prend ses distances avec le concept « fermé » de ces centres. Selon l’article 56 de ce projet de loi actuellement soumis au Conseil d’Etat avant un examen prévu en conseil des ministres le 18 avril, le juge des enfants pourra ordonner des plages de respiration en dehors du centre.

Pourquoi prévoir des sorties du CEF alors que la mesure coercitive et éducative est censée durer six mois ? « Afin de préparer au mieux la sortie des mineurs de CEF et notamment le retour en famille pour en atténuer les effets déstabilisants », justifie l’exposé des motifs du projet de loi. Selon Anaïs Vrain, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, cela « signe l’échec du CEF », puisque le gouvernement « acte l’intérêt de passer à quelque chose de moins contraignant ». Selon le projet de loi, cet « accueil temporaire » pourra s’effectuer dans un établissement éducatif plus ouvert, une famille d’accueil, un foyer de jeunes travailleurs ou un hébergement autonome en appartement.

Cet infléchissement de la doctrine, sur lequel a travaillé Madeleine Mathieu, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, avec le cabinet de Mme Belloubet, arrive au moment où la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) livre une sévère critique des CEF. Dans un avis adopté mardi 27 mars, qui sera prochainement rendu à la ministre, l’assemblée générale de la CNCDH recommande de ne pas en ouvrir de nouveaux et de créer à la place des « établissements ouverts à pédagogie diversifiée ».

« Délinquance stable »

« Les CEF sont l’antichambre de la prison, alors que pour leurs promoteurs ce devait être l’antichambre de la réinsertion et de la rescolarisation », analyse Christine Lazerges, présidente de la CNCDH. La garde des sceaux avait sollicité fin 2017 de cette autorité indépendante un avis sur les mineurs détenus. Mme Lazerges a étendu le sujet aux « mineurs privés de liberté », estimant que s’en tenir à la prison stricto sensu était réducteur. De fait, les CEF entrent dans le champ de compétences du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Les CEF avaient été imaginés pour limiter le recours à la prison, mais il n’a pas diminué. Au 1er mars, on dénombrait 832 jeunes de moins de 18 ans dans les établissements pénitentiaires pour mineurs et les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt. Un chiffre équivalent à ce qu’il était il y a quinze ans, avant l’ouverture des CEF. Or, ces derniers comptent aujourd’hui près de 500 jeunes placés par la justice.

Au total, le nombre de mineurs « privés de liberté » n’a pas été aussi important depuis de nombreuses décennies. La CNCDH constate que « la réponse pénale ne cesse de se durcir depuis 2002, alors que la délinquance des mineurs est stable avec une augmentation de 1,5 % sur quinze ans ». Et la détention provisoire est devenue la règle puisque, au 1er mars, 80 % des mineurs détenus sont des prévenus, et seuls 20 % des condamnés.

Les CEF avaient été conçus pour les mineurs multirécidivistes dont le parcours délinquant met en échec la prise en charge en milieu ouvert par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le placement pour six mois est séquencé en trois modules de deux mois : une phase très encadrée destinée au bilan afin d’élaborer les bases d’un projet éducatif, la mise en place du projet individuel, et enfin la préparation de la sortie, avec la mise en place de formations ou de programmes de scolarisation.

En pratique, rares sont les jeunes qui restent les six mois… La durée moyenne en CEF est de quatre mois. De fait, la violation du contrôle judiciaire auquel est assimilé le placement en centre éducatif fermé conduit parfois en prison. « Il est manifeste que le contrôle judiciaire, de plus en plus souvent prononcé à l’égard de mineurs, nourrit la détention provisoire », écrit la CNCDH, qui déplore par ailleurs une « tendance à la carcéralisation des CEF ».

Selon Mme Lazerges, « le projet éducatif des CEF est totalement cassé par le turnover des personnels et un manque de qualification, alors que 80 % des personnels sont des contractuels ». Et de remarquer que les éducateurs de la PJJ les plus expérimentés préfèrent travailler dans des environnements moins exposés à la violence.

La CNCDH déplore en particulier que le coût important des CEF, dont le prix moyen de journée est de 690 euros par mineur, grève une partie croissante du budget de la PJJ, notamment au détriment des capacités de prise charge moins coercitives. Le projet de loi de Mme Belloubet prévoit à ce sujet d’expérimenter pendant trois ans une troisième voie entre le placement en CEF et le milieu ouvert. Il s’agit d’une « mesure éducative en accueil de jour » que le juge pourra imposer, par exemple pour mieux répondre à la question des « sorties sèches » après les séjours en centre fermé ou en prison.

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