Dans une interview publiée le 25 mai par Le Figaro, le sénateur (LR) Henri Leroy, « préoccupé par l’insécurité et les coûts engendrés par les mineurs isolés », a annoncé la création d’une énième « mission d’information sur les mineurs non accompagnés (MNA) », devenus les boucs émissaires idéaux en cette période préélectorale. Il est facile de s’en prendre à ces jeunes qui ne votent pas, ne se plaignent jamais et qu’aucune mission d’information ne s’est donné la peine de rencontrer.

Nous sommes des avocats d’enfants. Nous intervenons dans tous les départements de France auprès de tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales et géographiques.

Nous connaissons bien les enfants dits MNA et nous ne supportons plus de lire dans la presse les déclarations inexactes, mensongères, voire carrément délirantes de personnes mal informées ou malveillantes à l’égard des enfants étrangers, comme celles du sénateur qui se fait l’écho de quelques-uns des mensonges les plus couramment exploités et partagés sur ces mineurs.

Nous dénonçons ces discours démagogiques, que nous voulons démentir ici point par point.

Etude, formation, travail

Au sujet des mineurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui sont la cible d’une stigmatisation : non, ces mineurs étrangers ne sont pas des délinquants ! Ils se concentrent sur leurs études, leur formation et leur travail. Encouragés par l’ASE à être autonomes le plus vite possible, ils obtiennent des qualifications dans des domaines aussi variés que l’aide à la personne, le bâtiment, la boulangerie, la chaudronnerie, la comptabilité, la cuisine, l’électricité, l’informatique, la menuiserie, la plomberie, la restauration, la taille de la pierre, etc. Ils payent cotisations sociales et impôts et sont fiers de contribuer à l’économie de la France.

Nous contestons de même l’amalgame systématique pratiqué entre MNA et mineurs en errance non pris en charge. Depuis 2016 sont arrivés en Europe des enfants errants particulièrement abîmés, polytoxicomanes, majoritairement originaires des pays du Maghreb, et exploités par des adultes qui les contraignent ou les incitent à des actes de délinquance.

Ces jeunes ne sont presque jamais pris en charge par l’ASE. Quand on essaie de les placer, ils fuguent faute de dispositifs adaptés à leurs profils et outillés pour les soigner et les protéger. Selon le ministère de la justice, « ces mineurs sont eux-mêmes victimes de violences et sous l’emprise de réseaux. Il est également probable que certains d’entre eux soient victimes de traite des êtres humains ».

Tous les partenaires de la justice des mineurs réclament la création de lieux de protection adaptés à ces enfants errants. L’ouverture d’un foyer dédié de douze places est prévue pour septembre 2021 : c’est un bon début, mais il en faudrait dix fois plus si on voulait se donner les moyens à la fois de protéger ces enfants et de préserver l’ordre public.

Données farfelues

Alors même qu’il parle des « mineurs migrants », le sénateur Leroy évoque, dans son interview, la tribune signée notamment par des généraux et publiée le 23 avril par l’hebdomadaire Valeurs actuelles : « Quand vous voyez que ce que vous allez combattre en opérations extérieures est en train de se dérouler en France, vous réagissez. Ce qu’ils ont fait est surtout un appel au secours, et on ne sanctionne pas un appel au secours. Nous sommes au bord d’une rupture civile, et il n’y aurait rien de pire que d’avoir recours à l’armée pour rétablir notre sécurité. » Le recours à l’armée… contre quelques dizaines d’enfants victimes de violence et sous l’emprise de réseaux ? De toute évidence, le sénateur se trompe de cible.

LA DEMANDE D’ASILE DES MNA EST TRÈS FAIBLE ET LES TROIS PREMIERS PAYS D’ORIGINE DES MNA DEMANDEURS D’ASILE SONT L’AFGHANISTAN (27 %), LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO (13 %) ET LA GUINÉE (10 %)

Il fait également preuve d’une totale méconnaissance de la question de l’asile des mineurs lorsqu’il déclare avoir « demandé à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) une fiche : les MNA déférés sont le plus souvent issus d’Afrique du Nord ». Or, l’Ofpra n’a aucune compétence en la matière.

S’il s’intéressait réellement à la question des MNA et aux statistiques de l’Ofpra, le sénateur apprendrait utilement que la demande d’asile des MNA est très faible en France (591 mineurs ont demandé l’asile à l’Ofpra en 2017, 742 en 2018 et 755 en 2019) et que les trois premiers pays d’origine des MNA demandeurs d’asile sont l’Afghanistan (27 %), la République démocratique du Congo (13 %) et la Guinée (10 %).

Sur le nombre et le coût de la prise en charge des MNA par l’ASE, le sénateur crie à l’« hémorragie »en se fondant sur des données totalement farfelues : « Le nombre de migrants mineurs était de 30 000 en 2015 et 60 000 en 2018. » Or, selon le ministère de la justice, le nombre de MNA confiés à l’ASE par décision judiciaire s’élevait très précisément à 14 908 en 2018, à 16 760 en 2019, à 9 524 en 2020 et à 3 649 au 25 mai 2021, soit moins de 10 % de l’ensemble des mineurs pris en charge par les services de la protection de l’enfance.

8 395 euros par an

Concernant les coûts, le sénateur prétend que la prise en charge des MNA coûterait 50 000 euros par an et par mineur. Or nombre de départements ont organisé des dispositifs spécifiques aux enfants étrangers, avec des prix de journée (incluant hébergement, repas et suivi éducatif) allant jusqu’à 23 euros, soit 8 395 euros par an.

Nous espérons que la mission d’information MNA créée par le Sénat saura aller au-delà des amalgames indignes et des stigmatisations honteuses pour recueillir des données fiables et objectives permettant de mieux appréhender la situation de ces enfants.

En particulier, il nous semblerait utile d’observer le parcours des mineurs non accompagnés placés à l’Aide sociale à l’enfance et de quantifier le « retour sur investissement », pour la France, de ces jeunes qui réussissent à décrocher diplômes et emplois alors que certains n’écrivaient pas, voire ne parlaient pas le français à leur arrivée.

Il en faut, du courage, de l’énergie, de la persévérance, des capacités d’adaptation, bref, ce qu’on nomme la « résilience », pour réussir à construire sa vie et trouver sa place ici en France, en redonnant au centuple ce qu’on vous a accordé et ce, en dépit des discours haineux et mensongers !

Liste des avocates et avocats signataires : Kiymet Ant, Brigitte Bertin, Josine Bitton, Agnès Cauchon-Riondet, Yann Chaumette, Frédérique Chartier, Camille Crabières, Mireille Damiano, Catherine Delanoë-Daoud, Mélanie Duverney-Pret, Hélène Gacon, Brigitte Jeannot, Anaïs Lefort, Anaïs Léonhardt, Amandine Le Roy, Maya Lino, Sandrine Norguet, Flora Peschanski, Laurie Quinson, Eurielle Rivière, Sandrine Rodrigues, Laurence Roques, Isabelle Roth, Séverine Rudloff, Arnaud de Saint Remy, Charlotte Singh, Marc Vernhes, Hannes Vervenne, Marlène Youchenko.