Depuis mardi, plusieurs dizaines de jeunes migrants isolés sont logés par la mairie de Marseille dans un gymnase municipal. Pendant que la municipalité et le département se renvoient la balle médiatique, certains d’entre eux ont décidé d’entamer une grève de la faim.
Assis contre un grillage devant le stade Vallier, Amadou fume une cigarette. Son regard, inquiet, est rivé vers le sol. “Au fait, fumer une cigarette, j’ai le droit ?”, se demande-t-il tout à coup. Ce mercredi, il a décidé avec plusieurs autres jeunes migrants comme lui d’entamer une grève de la faim. “Une grève de la faim pour qu’on nous mette à l’abri, pour bien vivre”, explique le jeune homme. Depuis mardi soir, Amadou dort, avec une vingtaine d’autres jeunes, dans l’enceinte du gymnase de ce complexe sportif municipal. Installés sur des lits de camp la nuit, ces jeunes, originaires de Guinée ou d’Algérie, passent leur journée à jouer au foot ou à fumer. Le tout, sous le regard peu tendre des agents de sécurité.
“Il y a eu des bagarres hier, les mecs de la sécurité n’en peuvent plus”, glisse un entraineur sportif habitué des lieux. “Des histoires de ballon, mais aujourd’hui, c’est passé, il y a eu des excuses”, détaille Amadou dont l’insouciance de la jeunesse paraît bien loin. Si la semaine dernière, il dormait à la gare Saint-Charles, la situation pour lui est loin d’être résolue : “On est partis de notre pays parce que ça n’allait pas, mais ici aussi, on retrouve la galère. On ne peut pas rester là, il n’y a pas de chauffage, pas de repas chauds… Nous voulons juste bien vivre, suivre des études, des formations. Et pour ça, il faut être logé.” Il n’a rien avalé de la journée. “On voulait aussi faire une grève de la soif, mais les bénévoles nous ont empêchés”, ajoute le jeune homme qui a traversé cinq pays pour arriver jusqu’ici.
LA MAIRIE COMME LEVIER D’ACTION
À la gare, il avait été dirigé vers une association pour suivre des cours de français. Amadou s’est ensuite retrouvé logé chez une militante et a rencontré par son biais d’autres jeunes dans sa situation. “L’un d’eux m’a dit qu’il y avait un rassemblement, j’y suis allé”, retrace simplement le jeune Guinéen. Mardi matin, ils se retrouvent donc avec plusieurs dizaines de jeunes migrants accompagnés de bénévoles associatifs devant la mairie de Marseille pour y déballer tentes et sono. Prêts à camper là, au besoin.
Conscients que la prise en charge des mineurs isolés étrangers relève du département et non pas de la compétence municipale, les militants associatifs espéraient tout de même obtenir le soutien de la collectivité passée récemment à gauche. “Un campement de la sorte n’aurait pas été possible devant la préfecture ou le conseil départemental. Mais la mairie peut appeler le département pour lui demander de prendre ses responsabilités”, détaillait alors Mami du collectif 59 Saint Just. D’autant plus que la nouvelle équipe a récemment pris position en faveur de l’accueil des migrants. Pari réussi puisqu’Audrey Garino, adjointe au maire en charge des affaires sociales, a reçu le jour-même une délégation de jeunes et bénévoles, et s’est dit soutenir l’action.
GUÉGUERRE MÉDIATIQUE
Le soir même, la Ville de Marseille publiait un communiqué, offrant à l’événement une tournure plus politique. “Toute la journée, la Ville de Marseille a sollicité la présidente du département qui a pourtant l’obligation de prendre en charge tous les enfants en danger du territoire. Le département a opposé un silence coupable à la détresse de ces enfants”, pouvait-on y lire. La municipalité est allée encore plus loin, en annonçant offrir un toit provisoire à ces jeunes : “Benoit Payan, maire de Marseille, a pris la décision exceptionnelle de mettre à l’abri en urgence 38 enfants dans un gymnase municipal.” La réaction du département ne s’est pas faite attendre. Sur le terrain médiatique, en premier lieu : via Twitter, Martine Vassal, présidente de la collectivité, a accusé le maire d’être dans la “caricature”.
L’élue y est aussi allée de son communiqué. Dans un texte fustigeant “l’instrumentalisation de la misère par la gauche” elle dénonce “les arrivées continues de jeunes migrants depuis 2015” et “les capacités d’accueil de l’aide sociale à l’enfance saturées” malgré “la création massive de places”. Une évaluation de la situation qui semble ignorer le récent rapport de la chambre régionale des comptes. Paru il y a tout juste deux semaines, le document révélé par Marsactu pointe clairement “la gestion défaillante” du département en ce qui concerne la prise en charge des jeunes migrants. Sans parler des très nombreuses condamnations en justice venant sanctionner sa collectivité sur ce sujet. Qu’importe, Martine Vassal s’estime “parfaitement consciente de l’effort que tout l’appareil départemental déploie pour résoudre cet épineux problème.”
Contactés, ni le département ni l’adjointe au maire n’ont souhaité répondre à Marsactu, préférant s’en tenir à leurs communications officielles. Du côté de Vallier, le département a bien dépêché sur place l’Addap13, l’association missionnée pour le premier accueil de ces jeunes. Mais seuls sept ou huit d’entre eux, qui disposaient d’une ordonnance provisoire de placement délivrée par un juge, ont été pris en charge. Les autres devront attendre “le retour de l’évaluation de la minorité”, indique encore dans son communiqué Martine Vassal qui dit ne pas vouloir “mettre en danger le dispositif de prise en charge” en accueillant ces jeunes “pour répondre à une préoccupation de politique politicienne.”
Sauf que le dispositif est là encore défaillant. “Selon la loi, le département n’est pas censé attendre d’établir la minorité, mais doit agir tout de suite”, rappelle Florent Houdmon, de la Fondation Abbé Pierre. “On était 43 ce matin, l’Addap 13 n’a pris que 8 jeunes, qui étaient déjà passés devant le juge. Pourquoi on n’a pas le droit d’être mis à l’abri, comme eux ?”, ont à leur tour écrit les jeunes du gymnase dans un texte relayé par le collectif 59 Saint-Just. Et de poursuivre : “on s’inquiète, certains étaient tellement démoralisés de rester dans ce gymnase, qu’ils sont partis, sans argent et sans personne pour les aider.” Ce jeudi, ils n’étaient déjà plus que quelques-uns à tuer le temps autour du stade Vallier.