La loi du 27 mars 2012 de programmation et d’exécution des peines, dans son article 12.3, prévoit la prise en charge des adolescents par les services de la PJJ dans un délai de 5 jours après décision judiciaire. Cette disposition doit être effective au 1er janvier 2014. A l’heure actuelle, 5 départements d’Ile de France sont expérimentaux (94,75,77,95,93). Pour rappel, cette loi est la dernière loi du précédent gouvernement concernant la justice : Elle a été votée suite à l’instrumentalisation des drames de Pornic et de Chambon sur Lignon. Elle a pour objectif affiché d’améliorer l’exécution des peines tant pour les majeurs que pour les mineurs et d’en programmer le financement.
Cette loi se situe dans la droite ligne des précédentes : teintée de démagogie, elle se veut rassurante pour l’opinion publique, et a toute sa place dans la logique sécuritaire déployée ces dernières années.
On comprend alors qu’il est difficile pour la nouvelle direction de la PJJ d’insuffler un sens nouveau à l’article 12-3, axé sur la qualité de la prise en charge éducative…
Le SNPES/PJJ/FSU est favorable, et l’a toujours affirmé, à une prise en charge éducative, effective, la plus rapide possible, ce qui implique qu’il y ait des personnels en nombre suffisant pour le faire. Les personnels savent que la situation des jeunes risque de se dégrader si le délai d’attente entre la décision et la rencontre avec le service éducatif est trop important. Pour autant, cette disposition législative ne permettra pas une prise en charge réelle dans ce délai si court.
Le lundi 25 novembre, la DPJJ a tenu une réunion en présence de l’ensemble des organisations syndicales siégeant au CTC pour présenter le dispositif. Le SNPES/PJJ/FSU a porté sa critique en s’appuyant sur les difficultés cumulatives repérées pour la mise en place de l’article 12-3 :
Tout d’abord, la loi du 27 mars 2012 précise que son article 12-3 ne peut être appliqué à moyens constants. C’est une loi de programmation qui prévoit la création de postes indispensables à la mise en application de cette disposition qui a été différée au 1er janvier 2014. 29 départements ont été priorisés en raison de l’existence d’une liste d’attente et d’un délai de prise en charge dans un délai supérieur au délai national moyen ; 75 ETPT étaient programmés Or, ces moyens supplémentaires en personnels n’existent pas. Pour les 60 postes d’ASS, le concours n’est toujours pas ouvert. Pour les 15 postes d’éducateurs, l’administration ne nous a toujours pas communiqué la carte des emplois qui nous permettrait de localiser ces postes.
L’AC a précisé que le nouveau gouvernement n’est pas tenu par les engagements du précédent en terme d’emplois et que la mise en place de l’article 12.3 n’appelle pas de nouveaux moyens, c’est l’existence de listes d’attente qui les justifient (cela s’appelle jouer sur les mots…).
Des conséquences sur les modalités de travail des équipes et sur les prises en charge éducatives :
L’administration se veut non directive et souple quant aux modalités de mise en place. Elle considère que beaucoup de réponses aux questions relèvent des services, de la réécriture de leur projet et non de consignes de l’administration centrale.
Elle considère que cette disposition va permettre de « bousculer les pratiques professionnelles », les services vont « s’organiser pour que ces 5 jours aient du sens ». Au prétexte de souplesse, il s’agit d’une remise en cause de pratiques professionnelles qui ont pourtant fait leurs preuves.
Ainsi, « la solution la plus rationnelle » selon la DPJJ, c’est que ce soit le RUE qui reçoive dans le cadre du premier entretien. Pour autant, elle n’exclut pas la possibilité que ce soit un éducateur de permanence ou l’éducateur référent, tout en admettant que cette dernière option sera l’exception.
Pour le SNPES/PJJ/FSU, aucune de ces solutions n’est satisfaisante. En effet, quelle que soit celle choisie par les unités, elle remet en cause les modalités de travail des services, leur projet et réduit singulièrement l’autonomie pédagogique des équipes.
De plus, les échos de lieux d’expérimentation font apparaître des modalités d’attribution des mesures en individuel et non plus en réunion de service. Cette pratique, très courante dans les unités, permet les discussions collectives autour des situations, le partage de l’analyse sur une urgence éventuelle et permet aussi la mise en oeuvre des solidarités d’équipe.
Nous affirmons que cette disposition peut aussi avoir des conséquences sur le déploiement de la pluridisciplinarité, par l’absence, de fait, du psychologue et/ou de l’ASS lors du premier rendez vous. Une unité « expérimentale » nous a fait part d’adolescents reçus dans le cadre d’un CJ contenant une obligation de soins en l’absence du psychologue alors que le projet de l’unité concernant ces situations prévoit expressément la présence du psychologue lors du premier rendez-vous !
De plus, le SNPES/PJJ/FSU conteste le fait que la loi autorise l’agent à recevoir l’adolescent, sans ses parents. Si, dans la pratique, les personnels accueillent les jeunes lorsqu’ils se présentent seuls, ils ne le banalisent pas et leur objectif est de rencontrer rapidement les parents. Mais il est inconcevable qu’une loi pose comme principe que la prise en charge a commencé dès que le jeune se présente au premier rendez-vous. Pour le SNPES/PJJ/FSU, cela nie, de fait, l’importance de la place des parents dans l’évolution de leur enfant. Lorsque la précipitation remplace la réactivité, le sens et donc la qualité de la prise en charge sont mis à mal. A quand l’inscription dans une loi du nombre d’entretiens à réaliser pour normer la qualité d’une prise en charge ?
Pour toutes ces raisons, nous pensons que l’article 12-3 remet en cause la portée significative du premier rendez vous. L’administration affirme que le 1er entretien, même s’il ne constitue pas le début de la prise en charge effective, a une portée éducative puisque le cadre de la mesure sera posé et que l’évaluation « brute » (sic) de la situation sera faite. En effet, la DPJJ reconnaît que le suivi effectif de la mesure ne se fera qu’au second rendez-vous, quand l’éducateur référent aura été désigné et qu’il aura lui-même fixé le second rendez-vous.
La question de l’espace temps entre le premier et le second rendez-vous, qui marquera le début de la prise en charge effective, se pose. La DPJJ reconnaît être lucide sur la situation des services tout en précisant qu’elle n’est pas uniforme. La mesure devra être distribuée « le plus rapidement possible ».
En attendant, c’est le personnel qui reçoit l’adolescent lors du premier entretien qui est indiqué comme référent provisoire de la mesure dans GAME. La DPJJ indique qu’il est alors de la responsabilité du RUE de décider d’attribuer la mesure ou de différer cette attribution si les éducateurs n’ont pas de disponibilité de prise en charge immédiate. La DPJJ affirme que c’est à lui d’apprécier les niveaux d’urgence et ce, avec l’aide des magistrats. Ainsi, si le jeune ou ses parents sollicitent le service, c’est le référent provisoire qui devra intervenir.
Le SNPES/PJJ/FSU soutient que la responsabilité de l’analyse d’une situation ne peut pas reposer sur une seule personne, éducateur ou RUE. Les situations doivent être discutées en équipe afin de déterminer s’il existe des éléments d’urgence.
Conditions de travail des personnels :
Sur les modalités pratiques, la mise en place de l’agenda partagé interroge, car il dépossède les équipes de leur emploi du temps en les soumettant exclusivement à l’activité judiciaire. L’affirmation de la DPJJ selon laquelle cet outil va être encore amélioré et qu’il contiendra les RRSE sous forme dématérialisée ne nous rassure pas.
L’application de l’article 12-3 dans les services entraîne aussi la mise en danger des normes de travail, pour les éducateurs, mais aussi pour les psychologues et les ASS, qui ont vu leurs normes déjà bien mal menées par la MJIE.
Si l’unité instaure que l’éducateur de permanence doit recevoir les jeunes et leur famille, cela signifie que cette permanence va s’ajouter aux tâches multiples que les éducateurs doivent assumer. De plus, ces éducateurs se verront en charge, provisoirement, des mesures jusqu’à leur attribution. Nous n’avons aucune garantie que ces mesures ne s’ajouteront pas à leur norme de 25 jeunes.
Si l’unité instaure que le RUE doit assumer le premier entretien, cette activité et ses conséquences (sollicitation de la famille…) risque d’alourdir aussi considérablement sa charge de travail.
Nous sommes totalement en désaccord avec l’administration lorsqu’elle affirme que cette disposition n’entraîne pas des besoins nouveaux en personnels et qu’elle se mettra en place en « réinterrogant les façons de faire ». C’est une musique que, malheureusement, nous connaissons bien : « ce n’est pas une question de moyens mais de méthode… ».
Lors de la réunion du lundi 25/11 à l’administration centrale, nous avons appris que la note conjointe du 29 juillet 2013 (pour laquelle les organisations syndicales n’avaient pas été consultées) allait être réécrite et que le comité de pilotage se réunissait le 27/11 afin de valider cette nouvelle note détaillant les modalités de mise en œuvre de l’article 12-3 à compter du 1er janvier 2014. Sur la question de déficit de dialogue social, la DPJJ souligne que le document technique qui accompagnera la note ne sera pas figé et que c’est cela que les OS pourront discuter. Pour le reste, c’est la loi et elle s’applique. CQFD.
Les réponses de la DPJJ à nos interpellations sont loin d’être satisfaisantes.
C’est pourquoi, dans l’immédiat nous exigeons :
la non application de la loi tant que les moyens supplémentaires dédiés n’existent pas.
La tenue d’un CTC sur la mise en place de l’article 12-3 avec un état des lieux de l’activité et des moyens des services.
De façon générale nous demandons :
l’annulation des dispositions qui nient les modalités de travail des équipes (non respect des projets de service, non respect de la place des parents…), gomment le sens du premier entretien et dégradent les conditions de travail des personnels.