Alors que, depuis deux ans, les manifestations en France ont fait des milliers de blessés, chez les manifestants comme les forces de l’ordre, la réforme du maintien de l’ordre présentée, le 17 septembre dernier, confirme la volonté du ministère de l’Intérieur de rejeter toute évolution significative en ce domaine et ouvre la voie à de nouvelles atteintes à la liberté d’information. Ce nouveau schéma national du maintien de l’ordre a été publié sans réelle concertation ni transparence, malgré les demandes de plusieurs ONG et de syndicats de journalistes en ce sens, et contrairement à ce qui a été affirmé par l’ancien secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Laurent Nunez.
Nous avions pourtant des recommandations concrètes pour garantir le respect des droits humains, notamment le respect de l’intégrité physique des personnes, et le droit de manifester pacifiquement. Ces recommandations sont fondées sur le droit international, en particulier le respect des principes de légalité, nécessité et proportionnalité, et sur les réflexions engagées dans de nombreuses polices européennes pour aller vers des stratégies de désescalade. L’objectif ? Faire baisser les tensions par le dialogue et la facilitation pour renforcer la confiance entre la police et les manifestants, et éviter, le plus possible, d’avoir recours à la force.
Des « conditions alarmantes » pour les journalistes
Le SNMO rendu public par le gouvernement, loin de proposer les réformes structurelles indispensables, entérine voire aggrave de dangereuses pratiques. Le maintien des grenades de désencerclement et des LBD 40 est confirmé, malgré les appels de nombreuses associations, du Conseil de l’Europe, et d’ophtalmologues à en suspendre ou en interdire l’usage. Le recours proposé à des grenades de désencerclement présentées comme moins dangereuses n’est pas suffisant, car les impacts de ces armes de guerre restent par définition disproportionnés et indiscriminés. De plus, on ne peut se satisfaire du remplacement des grenades GLI-F4 par des GM2L, dont les effets restent dangereux et contre-productifs, puisqu’elles consistent à assourdir et donc désorienter les manifestants au moment où on leur demande de se disperser.
La nécessité « d’assurer une prise en compte optimale des journalistes », annoncée dans le document rendu public, pourrait être positive si elle ne s’accompagnait pas de conditions alarmantes. Ainsi, le droit de porter des équipements de protection – ô combien nécessaires au milieu des gaz lacrymogènes utilisés massivement – est conditionné à l’absence « de toute infraction ou provocation ». Si les infractions peuvent être définies, le terme « provocation » est assez flou pour ouvrir la voie à l’arbitraire : qu’est-ce qu’un journaliste qui provoque ? Compte tenu du nombre de journalistes inquiétés ou empêchés d’exercer leur métier, il aurait été également utile de rappeler que la carte de presse n’est pas nécessaire pour établir le statut de journaliste.
Par ailleurs, les observateurs, comme les journalistes, se voient associés sans distinction aux manifestants, puisqu’il leur est rappelé qu’ils commettraient un délit en cas de non-dispersion après des sommations.
Doit-on rappeler que sans le travail des journalistes, des observateurs, mais aussi les témoignages de citoyens, l’essentiel des violences policières recensées ces dernières années aurait été passé sous silence ?
« Un niveau de déni inquiétant »
Le SNMO ne remet nullement en cause la pratique des nasses, trop souvent mises en œuvre de manière abusive, immobilisant les manifestants pacifiques, généralement sous les jets de gaz lacrymogènes, au risque de provoquer des affrontements. En dehors d’améliorations sur l’information des manifestants et la clarté des sommations, le ministère de l’Intérieur ne change pratiquement rien à ce SNMO et l’assume, entérinant les pratiques de l’hiver 2018-2019. Un hiver où de simples passants, des policiers, des journalistes, des milliers de personnes ont été blessées, une vingtaine de manifestants ont été éborgnés, et six ont eu une main arrachée. Zineb Redouane en est probablement morte. Et nous attendons toujours l’issue judiciaire des plaintes et procédures engagées.
La France se distingue tristement en Europe par le nombre de personnes mutilées ou gravement blessées dans le cadre de manifestations. Ne pas engager de réforme structurelle sérieuse après les enquêtes et alertes du Défenseur des droits, des experts de l’ONU, de syndicats de journalistes, du Conseil de l’Europe et d’ONG révèle un niveau de déni inquiétant. Ce nouveau schéma est une occasion manquée de mieux protéger la liberté de manifester.
Retrouvez ci-dessous la liste des signataires :
Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France , Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) , Nathalie Seff, déléguée générale d’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat-France) , Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail (CGT) , Benoît Teste, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU) , Mélanie Luce, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef), Estellia Araez, présidente du Syndicat des avocats de France (Saf) , , Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM) , Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ), Emmanuel Vire, secrétaire général de Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT) , Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, porte-paroles d’Union syndicale Solidaires