Le coronavirus met à l’épreuve les politiques répressives à l’œuvre depuis plusieurs décennies et ses conséquences en terme de surpopulation carcérale. Il y a urgence à désengorger les prisons en libérant les mineur.e.s, les courtes peines, les fins de peines, les personnes âgées et les personnes les plus vulnérables et en anticipant les libertés conditionnelles. C’est une question d’urgence sanitaire tant pour les personnes détenues que pour les personnels qui y travaillent.

Texte de la Tribune

A l’heure où les consignes sanitaires imposent un confinement dans nos logements et une limitation drastique de la circulation de tous, où chacun doit respecter une distance de sécurité de plus d’un mètre à la boulangerie, des hommes, principalement, mais aussi des femmes et des enfants, vivent à plusieurs, derrière les murs en maison d’arrêt dans des cellules de quelques mètres carrés. Des hommes et des femmes qui y travaillent, des surveillants pénitentiaires, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, des éducateurs, des directeurs, des professionnels de santé, éprouvent au jour le jour cette promiscuité.

Il n’est pas question de remettre en cause les motifs de l’incarcération, prononcée par des juridictions pénales dans le respect des procédures en vigueur mais de s’interroger sur les mesures exceptionnelles qu’il est désormais nécessaire d’adopter face à la pandémie en cours. Alors que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la France, considérant les conditions de détention au sein de ses établissements surpeuplés comme un traitement inhumain et dégradant, les mêmes établissements se trouvent aujourd’hui confrontés à la plus grave crise sanitaire du siècle.

Dans le contexte de la lutte contre la propagation du virus et de la protection des personnes fragiles, il y a urgence à agir pour diminuer la pression carcérale et permettre l’application, dans les maisons d’arrêt, des consignes élémentaires et impératives d’hygiène et de distanciation sociale. Pas demain. Pas la semaine prochaine. Aujourd’hui.

La première personne contaminée en détention à Fresnes est morte le 16 mars. Compte tenu de l’épidémie de Covid-19, tout ce qui rend supportable les jours qui se suivent dans le quotidien d’une détention et permet à la personne d’évoluer a été suspendu : travail, scolarité, formation, activités socioculturelles et visites des proches.

Promiscuité et forte densité

Les déplacements au sein des maisons d’arrêt sont désormais limités au strict minimum. Les tribunaux, au ralenti, reportent – à raison – de plusieurs semaines ou plusieurs mois les interrogatoires devant les juges d’instruction, les audiences de jugement et les audiences d’application des peines qui auraient permis des remises en liberté accompagnées.

Comment supporter cette situation pendant des semaines dans un contexte de promiscuité et de forte densité carcérale où 70 651 personnes sont détenues (dont 1 614 dorment sur des matelas au sol, sans parler des 815 mineurs actuellement incarcérés) pour seulement 61 080 places ? Comment isoler une personne souffrant d’affection longue durée, particulièrement à risque, quand toutes les cellules d’une prison sont occupées par au moins trois personnes ? Comment protéger les détenus de plus de 70 ans ? Comment respecter les règles d’hygiène élémentaire quand beaucoup de ces cellules sont dépourvues de douche ?

Réduisons en urgence significativement le nombre de personnes incarcérées en exécution de courtes peines ou qui se trouvent en fin de peine, y compris les mineurs incarcérés dans l’immense majorité des cas en exécution de courtes peines de quelques semaines seulement.

Evacuons sanitairement les plus vulnérables, les hommes et les femmes âgés, malades, qui présentent des profils particulièrement à risque aux regards des recommandations médicales ; et si la nature de leur peine et leur personnalité ne permettent pas d’envisager cette hypothèse, pour leur permettre une prise en charge à la hauteur de l’enjeu de santé publique que nous connaissons, assurons leur encellulement individuel et leur protection sanitaire.

Des mesures de politique pénale se développent dans certains ressorts (prononcé massif de mesures d’aménagement de peine par les juges d’application des peines, hors débat contradictoire et avec l’accord du parquet ; anticipation des libérations sous contrainte par les commissions d’application des peines…) et peuvent être mises en œuvre encore plus largement sur incitation des parquets en application d’une simple circulaire de la garde des sceaux, à condition d’y adjoindre des moyens et renforts significatifs concernant les greffes pénitentiaires et judiciaires, les magistrats ainsi que les outils informatiques.

Un recours massif à la grâce individuelle

Plusieurs structures ont déjà réagi et alerté le gouvernement : l’Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP), l’Observatoire international des prisons section française (OIP-SF), l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), le Syndicat de la magistrature (SM), le Syndicat des avocats de France (SAF) et la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il est urgent de les entendre et d’agir.

COMMENT PROTÉGER LES DÉTENUS DE PLUS DE 70 ANS ? COMMENT RESPECTER LES RÈGLES D’HYGIÈNE ÉLÉMENTAIRE QUAND BEAUCOUP DE CES CELLULES SONT DÉPOURVUES DE DOUCHE ?

C’est pourquoi nous sollicitons – sans méconnaître l’analyse attentive de chaque situation – l’usage d’un moyen juridique plus efficace, rapide et adapté à cette urgence sanitaire. Si le droit de grâce collective est désormais impossible, un recours massif à la grâce individuelle d’un nombre important de personnes incarcérées, en fonction du reliquat de peine restant à effectuer et de la nature des infractions concernées pourrait permettre une diminution significative de la surpopulation carcérale.

Les réformes successives avaient pour objectif commun de « redonner du sens à la peine » en limitant l’incarcération des courtes peines et en favorisant un retour progressif à la liberté pour les personnes incarcérées. Les conditions matérielles de détention, le taux d’occupation, les risques de propagation et le droit à la santé imposent des mesures exceptionnelles pour limiter la propagation du Covid-19 pour les personnes détenues, comme pour les personnels pénitentiaires.

Le déni et l’inaction n’auront pour seul effet que de permettre le développement rapide de la maladie en détention, de mettre en danger les personnes détenues et les personnels ainsi que leurs proches, d’aggraver la tension au sein des établissements, de créer les conditions des mutineries – déjà observées en Moselle, à Grasse ou Perpignan – qui auraient pour conséquence le déploiement de forces de l’ordre déjà sollicitées ailleurs. Permettons à ceux qui travaillent en détention d’assurer la sécurité physique et sanitaire de ceux qui y vivent ; il en va de la responsabilité de l’Etat.

Liste des premiers signataires de la tribune :

Estellia Araez, avocate, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF) ; Sophie Baron-Laforêt,psychiatre, présidente de l’association française de criminologie ; Delphine Boesel, avocate, présidente de l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF) ; Bruno Carriou,avocat, bâtonnier de Nantes ; Frédéric Champagne,bâtonnier de Versailles ; Olivier Cousi, avocat, bâtonnier de Paris ; Jean Danet, avocat honoraire, universitaire ; Cécile Dangles,présidente de l’association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) ; Lara Danguy des Déserts, magistrate, ancienne présidente de l’ANJAP ; Benoît David, avocat, président de banc Public ; Michel David,président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) ; Philippe de Botton, président de Médecins du monde ; Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté ; Jacques de Maillard, professeur de science politique, UVSQ ; Christophe Deltombe, avocat honoraire, président de la Cimade ; Serge Deygas,bâtonnier de Lyon Flore Dionisio, secrétaire générale CGT Insertion et probation ; Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature ; Jean-Baptiste Dubrulle, bâtonnier de Lille ; Didier Fassin, professeur au Collège de France et à l’Institute for Advanced Study de Princeton ; Christiane Féral-Schuhl,avocate, présidente du Conseil national des barreaux (CNB) ; Hélène Fontaine, avocate, présidente de la conférence des bâtonniers ; Joëlle Forest-Chalvin, vice-bâtonnier de Lyon ; Frédéric Gabet, avocat, bâtonnier de la Seine-Saint-Denis ; Antoine Garapon,magistrat ; Virginie Gautron,maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles, université de Nantes (DCS) ; Martine Herzog-Evans,professeur en sciences criminelles à l’université de Reims ; Jean-Paul Jean,magistrat honoraire ; Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS ; Christina Kruger, bâtonnier de Strasbourg ; Samra Lambert,juge de l’application des peines, secrétaire générale de l’ANJAP ; Christine Lazerges,professeur émérite de l’université Paris-I, ancienne présidente de la CNCDH ; Henri Leclerc, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Caroline Lemeland, bâtonnier de l’Aube ; Daniele Lochak, professeur émérite université Paris-Nanterre ; Vincent Maurel, bâtonnier des Hauts-de-Seine ; Fabrice Maurel, bâtonnier de Grasse ; Marwan Mohammed, chargé de recherche au CNRS, EHESS-ENS (Paris), John Jay College of Criminal Justice (New York) ; Amélie Morineau, avocate, présidente de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (Association A3D) ; Christian Mouhanna, sociologue, CNRS, Cesdip ; Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS ; Sonia Ollivier, co-secrétaire du SNPES-PJJ-FSU ; Marie-Suzanne Pierrard, magistrat honoraire, ancienne présidente de l’ANJAP ; Serge Portelli, avocat, magistrat honoraire ; Laurence Richard, secrétaire générale du SNEPAP-FSU ; Géraldine Rigollot,magistrate (Syndicat de la magistrature) ; Philippe Robert, directeur de recherche émérite au CNRS ; Nathalie Roret, avocate, vice-bâtonnier de Paris ; Valérie Sagant,magistrate ; Christian Saint-Palais, avocat, président de l’association des avocats pénalistes (ADAP) ; François Saint-Pierre, avocat ; Denis Salas, magistrat, président de l’association française pour l’histoire de la justice ; Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du comité consultatif national d’éthique ; Grégory Salle,chercheur en sciences sociales, CNRS ; Evelyne Tauleigne, bâtonnier de Grenoble ; Hervé Temime, avocat ; Olivier Tournillon, bâtonnier du Val-de-Marne ; Aurore Trepp,secrétaire générale CGT-PJJ.

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