La protection des enfants face aux crimes sexuels mérite toute notre attention et notre mobilisation. Et les affaires qui éclatent depuis quelques semaines montrent qu’elle est largement déficiente. Un grand cri se fait entendre pour dénoncer l’inceste, les violences sexuelles à enfant, sans parler des maltraitances familiales et celles des institutions à qui sont confiés des enfants en danger et des enfants victimes. Et surtout le déni de cette réalité.

Mais cette voix est portée par des victimes qui dénoncent ces exactions des années après les faits, qui n’ont pas trouvé à l’époque d’oreille attentive, d’adulte clairvoyant, capable de faire un signalement pour mettre fin aux violences de toutes natures.

Déficience de toute la société

Déficience de l’école, des services sociaux, de la protection maternelle et infantile (PMI), de l’aide sociale à l’enfance (ASE), de la médecine de la police, de la justice… De toute la société en fait qui ne voulait pas entendre alors qu’elle savait. Elle savait parce que la dénonciation d’inceste d’Eva Thomas portée contre son père aux « Dossiers de l’écran », en 1986, a bouleversé la France. Elle savait aussi, car il y a eu à l’époque d’autres témoignages : Viviane, Claudine, Anne, etc.

Elle savait tellement qu’elle a même fait voter en juillet 1989 une nouvelle loi relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance. Cette loi, qui confie cette mission aux départements, crée le 119, Allô enfance maltraitée. C’est par cette loi aussi que les délais de prescription pour viol par ascendant ont commencé à changer, grâce à l’action du Collectif féministe contre le viol.

Et puis… le temps a passé et la chape de plomb s’est refermée. Pour protéger la famille, « cellule de base de la société » patriarcale. Pour ne pas remettre en cause tout l’édifice social où l’on va se rendre compte que ces crimes sexuels contre les enfants ont lieu dans tous les milieux sociaux, sans aucune exception…

Il faut protéger les enfants victimes. La première des choses à faire c’est de savoir les entendre, reconnaître les signes qu’ils émettent, savoir intervenir. Il faut abandonner cette mentalité monstrueuse de fermer les yeux, de se réfugier derrière le « privé », de rester passif, de laisser couler.

Mettre les moyens nécessaires

Il ne faut pas oublier que la majorité des enfants victimes sont des filles ! Et ce parcours de vie brisée dès l’enfance va se doubler pour elles de ce que nous appelons le continuum de violences subies par les femmes. En effet les institutions ne sont pas seulement défaillantes (police, justice notamment), elles sont le plus souvent sexistes. Les fillettes, les adolescentes, une fois devenues femmes, payent le prix fort de cette accumulation de violences sexuelles, physiques et psychologiques.

Il est vital que les lois existantes soient respectées ! Il faut former massivement tous les professionnels. Il faut prévenir aussi, élaborer un grand plan et y mettre les moyens nécessaires. En personnel et en espèces sonnantes et trébuchantes. Ce plan doit prendre en compte la dimension genrée pour que tous les enfants, filles et garçons, soient réellement protégés.

Mais il faut aller plus loin ! Car il existe aussi de sérieuses mesures à prendre pour juguler ces crimes.

Comment peut-on laisser prospérer la résidence alternée des enfants lors d’un divorce lorsque le père est l’agresseur sexuel ou le violeur de son enfant ou qu’il a été auteur de violences conjugales et maintient son emprise sur son ex, obligée de garder contact de par cette résidence alternée ?

Traumatismes relativisés

Comment peut-on laisser l’autorité parentale à un parent auteur d’inceste, puisque son retrait n’est pas automatique ?

Comment peut-on faire en sorte que la justice ne déclare pas des enfants de moins de 15 ans consentants si l’on n’instaure pas un seuil d’âge en dessous duquel on ne puisse évoquer le « consentement » à des actes sexuels avec un majeur ? Ce qui n’a rien à voir avec la pratique de la sexualité des mineurs entre eux !

Comment continuer à poursuivre pour non-représentation d’enfant le parent protecteur lorsqu’il refuse de satisfaire au droit de visite par peur que l’enfant soit de nouveau violé ou agressé ?

On pourra nous rétorquer que les juges sont en capacité de prendre de bonnes mesures à droit constant. Certes, mais ils ne le font pas, le plus souvent. Pire, des décisions allant à l’encontre de la protection des enfants sont parfois prises par des juges, qui semblent relativiser les traumatismes engendrés par les violences subies. Et il faut donc encadrer strictement leurs marges d’appréciation.

« Un obstacle insurmontable »

Bien plus. Comment peut-on assurer une véritable éducation non sexiste des élèves et des étudiants sans mettre cette dernière à l’emploi du temps hebdomadaire et donc l’inclure dans le code de l’éducation ?

Il est nécessaire, en outre, de combattre et de déconstruire auprès des enfants et des adolescents une culture du viol et une vision pornographique omniprésente qui présentent les pires violences et les pires atteintes à la dignité comme la normalité sexuelle. Tout cela nécessite des lois nouvelles.

Mais il ne faut surtout pas abandonner les adultes qui ont été victimes, qui dénoncent et qui veulent voir leur souffrance et leurs droits reconnus. Les pouvoirs publics les incitent à porter plainte mais les délais de prescription peuvent les en empêcher. Il faut les allonger de façon substantielle, considérer l’amnésie traumatique comme un « obstacle insurmontable et assimilable à la force majeure » au sens de l’article 9-3 du code de procédure pénale qui « suspend la prescription ». Et faire rembourser par la Sécurité sociale tous les soins consécutifs aux violences, pour enfants et adultes.

Il y aurait d’autres chantiers à ouvrir : celui des enfants nés après un inceste par exemple. S’engager dans une telle voie coûte cher donc et nécessite une franche volonté politique. C’est cette voie qui devrait être choisie par le gouvernement.

Les signataires :

Françoise Brié, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes ; Anne Leclerc, éducatrice retraitée, ancienne secrétaire générale du Syndicat national des personnels de l’éducation et du social, protection judiciaire de la jeunesse, (FSU) ; Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol ; Lorraine Questiaux, avocate et militante ; Suzy Rojtman, cofondatrice du Collectif féministe contre le viol ; Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Lire la tribune….http://snpespjj.fsu.fr/wp-content/spip/snpespjj/IMG/pdf/tri…